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Prologue - Arrivée - Cusco - Machu Picchu - Lac Titicaca - La Paz, Sucre - Potosí et ses mines - Salar d'Uyuni - Lima - Epilogue

Mercredi 18/07 : Les Péripéties du Voyage

Dès sept heures du matin, le groupe, douze personnes, se divise en trois pour prendre place dans trois voitures. Des chauffeurs d'une agence locale vont nous conduire à Puno, ville située sur le lac Titicaca, un peu plus de trois cent cinquante kilomètres au sud-est de Cuzco, sur une bonne route asphaltée.

Nous effectuons notre premier arrêt après quelques kilomètres, dans le village de Andahuaylillas, pour visiter ce que l'on appelle la "Chapelle sixtine des Andes", d'après Martine notre guide en tout cas. L'inculte que je suis ne connais pas Rome et donc pas non plus la fameuse Chapelle sixtine, il m'est donc difficile de faire la comparaison et de vous dire si ce surnom est justifié. D'après le Lonely Planet, "l'église jésuite, qui date du XVIIème siècle renferme de nombreuses sculptures et peintures, dont la plus belle est une toile d'Esterban Murillo représentant l'Immaculée Conception. De nombreux trésors d'or et d'argent, dont les villageois se relaient pour en assurer la surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, y seraient également conservés." Cette étape vaut sans aucun doute le détour car l'édifice est plutôt beau et sa décoration intérieure très riche quoique mal entretenue. Je pense que l'église a gagné sa comparaison avec celle de Rome parce que son plafond est peint. Mais le parallèle s'arrête là car il s'agit uniquement d'une mosaïque, belle certes, mais non pas d'un véritable tableau comme c'est le cas du travail de Michelange dans la Chapelle sixtine de Rome.

La seconde étape est constituée par les ruines de Raqchi. Les grands murs d'une bonne quinzaine de mètres que l'on aperçoit en arrivant devaient constituer à l'époque inca un temple religieux. La base qui correspond environ aux trois premiers mètres est faite de gros blocs de pierre, tandis que la partie supérieure est en adobe, un mélange de terre et d'eau séché au vent. Celui-ci a résisté aux siècles à mon grand étonnement. Le temple qui était sans doute l'un des plus sacrés de l'Empire inca fut détruit en grande partie par les Espagnols à leur arrivée. Un peu plus loin, on peut voir des petites cabanes de pierre. D'après notre guide local, elles sont au nombre de cent cinquante et servaient autrefois à conserver des céréales comme les pommes de terre ou le maïs. La cité de Raqchi devait être à l'époque inca un important centre religieux, administratif et commercial et on estime que plusieurs milliers de personnes vivaient dans ses alentours.

Nous remontons ensuite dans nos trois Toyota. Les chauffeurs sont jeunes, deux doivent avoir entre vingt-deux et vingt-cinq ans, tandis que l'un n'a pas ses vingt ans, et j'imagine a eu son permis récemment. Le premier conducteur qui ouvre la marche roule dans une Toyota noire, avec sur le pare-brise un autocollant "No Fear". Ses pneus sont sous-gonflés et le pneu arrière gauche est complètement déformé sur le côté. Mais ça roule, et vite même. Trop vite, si bien que nous perdons en chemin la troisième voiture avec le plus jeune des conducteurs. Nous l'attendons en vain à un carrefour, et ne voyant rien venir, nous continuons notre chemin vers Puno, sur la belle route récemment refaite. Ce n'est que deux heures plus tard que nous retrouvons le "wagon" manquant. Nos amis nous avaient même précédés, si bien que lorsque nous sommes arrivés à la troisième et dernière étape de notre parcours, le site de Sillustani, ils nous attendaient depuis quelques minutes. Avant de visiter ce vestige d'une civilisation pré-inca, nous avons eu droit au récit mouvementé de leur voyage.

Le jeune chauffeur après nous avoir perdus, a pris un autre chemin, quelque peu plus long. Comme sous l'effet d'une drogue, notre agneau s'est mis à fatiguer soudainement, et à conduire comme si la route à deux voies s'était transformée en une route à sens unique. En clair, il roulait à gauche même sur les lignes droites et n'arrivait plus à maintenir la direction du véhicule. Marise, assise à sa droite, la place du mort, a redressé brusquement le volant alors que la voiture mordait dangereusement sur le bas-côté à gauche (le Pérou roule à droite). Mes amis se sont vite empressés de faire arrêter la voiture. Le jeune chauffeur, l'oeil hagard et les réflexes amoindris a obéi sans broncher, et il a cédé son volant à Marc sans même protester. Il a dormi pendant une bonne partie du trajet, et a englouti une petite bouteille de coca en un rien de temps pour se remettre d'aplomb.

Ceux qui étaient dans la voiture qui nous précédait, la noire, se sont faits extorquer un petit pourboire à un poste frontière. Cinq soles (environ dix francs) pour "transport d'étrangers". Le "chauffard" prétextant ne pas avoir de monnaie, Danielle a dû payer. Il faut bien savoir inventer des taxes pour survivre ! Finalement, je crois que j'étais dans la mauvaise voiture, tout s'est déroulé sans encombre pour nous, quel dommage !

Pour revenir à des choses plus culturelles, quelques informations sur le site de Sillustani. Il abrite plusieurs tombeaux en forme de tourelles appelées "chullpas", datant du XIIIème siècle, et dont la plus importante atteint douze mètres de hauteur. On pense qu'elles sont l'oeuvre de la civilisation Colla, une tribu guerrière parlant la langue aymara, comme c'est le cas des indiens tout autour du lac Titicaca. Les tombeaux funéraires sont situés sur une petite colline qui domine le lac Umayo, à près de quatre mille mètres d'altitude. Le paysage est dénudé à ces hauteurs, et les couleurs dominantes sont le brun pour la terre, le jaune pour les herbes sèches, et le bleu marine pour l'eau très sombre de la lagune. Un paysage pauvre en originalité mais très ressourçant de par la simplicité et le calme qui s'en dégagent.

Sur la route de Puno, nous nous sommes arrêtés aux abords d'une maison paysanne présentant un certain intérêt architectural en raison de l'arche au-dessus de la porte d'entrée de sa petite cour, plus finement ouvragé que sur les autres maisons rurales de l'Altiplano. Nous lui avons demandé si nous pouvions "visiter" son humble demeure, et il a accepté avec un grand sourire. Tout heureux et tout fier que des "étrangers du Nord" s'intéressent à lui, à sa famille, à sa petite maison d'adobe et à ses poules. Bien que des fils électriques soient raccordés à sa maison, ce qui laisse penser qu'il bénéficie de l'électricité, son style de vie, tout comme celui des autres paysans de l'Altiplano, reste extrêmement sommaire. Une maisonnette pour une famille de plusieurs personnes dans laquelle la lumière pénètre mal car le froid interdit de construire trop de "fenêtres", de trous dans les murs. Le sol est en terre battue, et en guise de lits, une paillasse surélevée sur laquelle sont étendues des couvertures. Tous les membres de la famille dorment ici, blottis les uns contre les autres, pour mieux supporter le froid glacial et pénétrant des nuits à quatre mille mètres. Les outils de travail du paysan sont très rudimentaires mais bien confectionnés. Il ne laboure pas ses champs avec un tracteur comme nous l'avons vu autour de Cuzco, ni même avec une charrue à boeufs comme nous l'avions également déjà vu. Il bêche et retourne le sol avec un manche en bois sur lequel est solidement attachée une lame de métal.

A l'extérieur de la maison, une petite cabane, toujours en adobe, qui sert de four, et dans lequel la mère de famille peut faire cuire des pommes de terre, du pain, de la viande -pour les fêtes-. Ce campesino là n'est pas un cas isolé. Comme beaucoup de ses compatriotes il vit dans une autre époque, un monde parallèle, à mi-chemin entre le Moyen-Âge et le Monde moderne. Il s'agit un peu des deux, et chaque jour sans doute avec les quelques améliorations que l'Etat peut lui apporter, avec l'argent qu'il tire de ses récoltes ou de son artisanat, il se rapproche du monde dans lequel nous vivons quotidiennement. Quand du téléphone fixe, nous passons au portable, lui, il reçoit l'électricité et peut s'acheter une petite ampoule.

Nous arrivons dans la ville de Puno, quatre-vingt mille habitants aux abords du lac Titicaca, vers dix-huit heures, lorsqu'il fait déjà nuit, avec nos trois "chauffards". Entre-temps, le jeunot avait retrouvé ses esprits et il avait pu prendre à nouveau le volant pour le dernier tronçon de la route.

Jeudi 19/07 : Une Journée sur le Lac

Nous embarquons dès le matin à bord d'un petit bateau sur le lac Titicaca, ce nom mythique, sans doute aussi connu que le Machu Picchu et que très peu de personnes savent en fait situer sur une carte. Jusqu'à un certain âge, la simple évocation du nom "Titicaca" fait rire. En quechua, titikaka signifie "puma de pierre", ce qui est beaucoup moins drôle qu'en français. Mais pourquoi "puma de pierre" ? Le nom a en réalité été donné à l'origine par les indiens aymaras, dont les descendants peuplent encore aujourd'hui le lac et ses alentours. En aymara, "puma de pierre" se dit titijaya. Les Quechuas, après avoir vaincu les Aymaras au XIIIème siècle ont choisi de conserver ce nom, mais ils l'ont simplement traduit dans leur langue. Les Espagnols l'ont ensuite transformé en "Titicaca", un nom sans aucune signification pour la langue castillane.

Cela n'explique toujours pas pourquoi on a appelé le lac ainsi. J'ai peut-être un début de réponse. En 1973, le satellite étasunien Gémini photographie le lac et ses alentours. En étudiant de près les photos, on remarque que, vu du côté est, le lac Titicaca a la forme d'un puma attrapant une proie. Cela nous expliquerait peut-être pour le "titi" (puma). Et "jaya", la pierre en aymara, parce que vu du ciel, le lac semble figé comme de la roche. Il faut se creuser la tête pour y voir un puma, mais cela semble relativement convainquant. Si c'est bien la véritable explication du nom "titijaya", comment les Aymaras ont-ils pu voir que le lac avait la forme d'un puma ? Encore une énigme de plus, un mystère à éclaircir. Ce n'est pas le seul au Pérou, pays héritier de civilisations antiques dont on a encore aujourd'hui du mal à déchiffrer les traces. Je pense notamment aux lignes de Nazca dans le sud du Pérou. Tracées par la civilisation du même nom, bien avant notre ère, elles représentent des animaux, comme le colibri ou la mygale, aux formes parfaitement symétriques. Et elles ne sont visibles que d'avion. Comment les Nazcas ont-ils pu tracer ces formes gigantesques aussi parfaitement, sans avoir une vision aérienne de leurs oeuvres ? Mais ceci est une autre histoire, un autre voyage...

Revenons au lac, qui fut l'attraction majeure de notre journée. A près de trois mille huit cents mètres d'altitude, il est communément désigné comme le lac navigable le plus haut du monde. Mais pour être exact ce titre de prestige revient au lac Chungará, à quatre mille cinq cents mètres, dans nord du Chili. Avec huit mille trois cent quarante kilomètres carrés, le Titicaca est le plus grand lac d'Amérique du Sud. Dans sa plus grande longueur, il fait cent quatre-vingt-dix kilomètres, et dans sa plus longue largeur, quatre-vingts. Quant-à sa profondeur maximale, elle atteint deux cent quatre-vingts mètres. Il s'agit assurément d'un grand lac, car en comparaison, le lac de Genève ne couvre que cinq cent soixante-dix kilomètres carrés. On dénombre près d'une trentaine d'îles sur ses eaux, sans compter les îles flottantes des indiens uros. Celles-ci constituent justement notre première destination sur le lac, quelques quarante minutes après notre départ du port de Puno.

Les Uros parlaient autrefois leur propre langue, mais à l'heure actuelle, il n'existe plus d'Uros de pure souche. Ils se sont métissés avec les Aymaras, majoritaires sur le lac et ont également adopté leur langue. La particularité de ces petites îles est qu'elles flottent sur le lac en permanence. Leur sol est constitué d'épaisses couches de roseaux, empilées les unes sur les autres. Chaque année, à une période de l'année, dont j'ai oublié la date, les Uros rajoutent des roseaux sur le sol, afin de constituer une nouvelle couche, et ainsi, leurs petits îlots semblent durer infiniment. Les îles sont minuscules et on trouve une petite dizaine de cabanes en roseaux sur chacune. Au milieu de l'île le sol est si stable et si résistant que l'on se croirait sur la terre ferme. Mais lorsqu'on marche sur les bords, c'est autre chose. La couche de roseaux est beaucoup moins épaisse, de sorte que le sol est très mouvant et il faut faire attention où l'on pose ses pieds. A cette altitude, le lac est très froid toute l'année et faire trempette dans ses eaux sombres et poissonneuses ne serait pas raisonnable.

D'après ce que j'ai lu sur les Uros, ceux-ci vivent essentiellement de la pêche et de la culture de la pomme de terre sur terreau, et bien-sûr également de l'argent que leur apportent les nombreux touristes en échange des produits artisanaux qu'ils ont confectionnés. J'imagine qu'ils vont dépenser de temps en temps leur argent à Puno, ville la plus proche.

Aussi petites soient les îles des Uros, et aussi rudimentaires et minuscules soient leurs maisons, les Indiens disposent de panneaux solaires reliés à des fils électriques rentrant à l'intérieur de leur cabane. Cela paraît presque "trop moderne" de disposer de l'électricité sur une île aussi minuscule, et en outre cela me paraît dangereux pour l'île toute entière qui peut prendre feu très rapidement. Mais l'idée des panneaux solaires est excellente d'autant plus qu'ils ne sont pas trop visibles. C'est d'ailleurs en fait la seule électrification qui soit viable -en dehors d'un générateurs électrique- car planter des pylônes au milieu du lac se révélerait difficile.

Au-delà de l'aspect exotique et du concept assez fou de ces islas flotantes, le voyageur en quête d'authentique et d'insolite risque d'être quelque peu déçu. Car ces îlots se résument actuellement à des "parcs à touristes" et le seul contact avec les îlois, les Uros, prend la forme du business. Peut-être y sommes-nous allés le mauvais jour à la mauvaise saison, quand tous les touristes y affluent, mais je pense que d'une manière générale, les islas flotantes des Uros ont perdu leur esprit original, ce qui faisait leur charme, à savoir leur marginalité. Mais comment pourrais-je me plaindre alors que moi aussi je fais partie de ces touristes qui ont envahi ces îles ? Ne boudons pas notre plaisir, pour les amateurs, il est possible de faire un petit tour sur les belles barques des Uros. Tressées en roseaux -il faut composer avec les produits locaux- elles sont très solides et, je parle d'expérience, on peut y faire rentrer treize personnes à l'intérieur. En plus de robustes, elles sont également très singulières de par leur magnifique tête de monstre qu'elles arborent en guise de proue.

Après cette étape, nous avons ré-embarqué à bord de notre bateau, pour nous rendre à l'île de Taquilé, située à près de trois heures de bateau des îles Uros. Il n'y a plus qu'à admirer le paysage, l'eau bleue foncée du lac, calme et belle, les montagnes jaunes pelées, ou bien à faire la sieste, bercé par les doux rayons d'un soleil d'altitude, ou encore à écrire quelques cartes postales. C'est également l'occasion de découvrir un peu notre guide. Hernan, de par son prénom, a vingt-quatre ans, il est originaire de Puno et connaît donc le lac depuis son enfance. Après avoir fait des études pour devenir guide, il étudie actuellement le français depuis cinq mois au centre de langues public de sa ville. Il possédait un bon niveau de maîtrise de la langue pour seulement quelques mois d'apprentissage. Ayant la chance d'avoir une mère quechua et un père aymara, il peut se targuer de parler les deux langues, en plus de l'espagnol évidemment, et également de l'anglais qu'il a aussi appris à l'université. Bientôt, il souhaite commencer l'allemand. Au Pérou, comme dans beaucoup d'autres pays en développement, le métier de guide est une véritable opportunité, une porte d'accès à l'aisance matérielle et un échappatoire à la misère. Le Pérou a un fort potentiel touristique, encore très peu exploité, puisque seuls cinq cent mille personnes par an le visitent, et les touristes se concentrent dans certains points comme Lima, Cuzco, Machu Picchu ou le lac Titicaca. En comparaison, la France a accueilli près de soixante-quinze millions de touristes en l'an deux mille, pour une superficie deux fois moindre que celle du Pérou.

Le guide fait partie de ceux qui ont réussi à tirer profit de cette industrie touristique qui rapporte beaucoup d'argent. Cela lui permet de pouvoir porter une laine polaire et d'arborer un téléphone portable à la ceinture, alors que la majorité des Péruviens vit aujourd'hui dans la pauvreté.

Nous sommes arrivés à Taquilé un peu avant midi. L'île s'étale tout en longueur et occupe près de douze kilomètres carrés. Fait intéressant, elle est peuplée d'Indiens parlant quechua, alors que toute la région du lac Titicaca est majoritairement aymara. Hernan nous apprend que la population de Taquilé, près de trois mille personnes, est divisée en six communautés, chacune comprenant deux chefs qui sont renouvelés chaque année. Malgré le récent afflux de touristes sur leur île, les Taquileños sont encore très timides et réservés, et tout spécialement les jeunes filles célibataires qui se cachent dans leur vêtement noir à la vue d'un étranger. Mais il faut préciser que les autorités locales ont le droit de contrôler et de limiter le nombre d'entrants sur leur île, ils ont donc -théoriquement- le pouvoir de refuser l'invasion des touristes. Mais là encore, ce serait se priver d'une source de devises nécessaire à la survie et au développement des habitants de l'île. Car si les Taquileños cultivent leur terre et subsistent principalement grâce à elle, ils ne vivent pas pour autant en autarcie complète. Chaque samedi de la semaine, ils -en petits groupes j'imagine- se rendent à Puno pour effectuer quelques achats de base. S'ils ne vivent pas véritablement dans la modernité, celle-ci les entoure et ils ne peuvent y échapper. Touristes et promenades dans Puno créent pour eux des besoins modernes jusqu'alors inexistants sur leur île, et ils deviennent malheureusement très vites dépendants de l'argent que leur rapportent les voyageurs qui visitent Taquilé.

Après une petite marche sur les hauteurs de l'île pour admirer le lac et, en arrière-plan, de magnifiques sommets enneigés situés en Bolivie, nous arrivons sur la place centrale de Taquilé. Un magasin coopératif se charge de vendre des vêtements de haute qualité confectionnés par les Taquileños. Sur Taquilé, hommes et femmes ne mélangent pas leur travail. Le tissage est réservé au beau sexe, tandis que les hommes se contentent de tricoter. Je ne résiste pas à l'envie de m'acheter un gilet -tricoté-, qui je suppose a donc été confectionné par un homme. Mais sans plus attendre, nous nous dirigeons le ventre affamé vers l'auberge qu'avait réservée pour nous Hernan. Au menu du jour, une excellente soupe de pommes de terre et de légumes, suivie d'un poisson tout frais sorti du lac et d'un maté de coca. Délicieux ! Mais déjà il nous faut repartir, pour atteindre Puno avant la nuit. En principe, il était prévu que nous passions une nuit sur Taquilé, dans une famille qui nous aurait hébergé (certaines peuvent en effet loger jusqu'à douze personnes). Mais hélas, en raison des mouvements sociaux en Bolivie et des barrages paysans, il nous était à l'heure actuelle impossible de savoir comment nous allions accéder en Bolivie. On parlait déjà d'aller au Chili et de passer en Bolivie par le sud désertique, pour diminuer au maximum les risques de barrages routiers. Cette incertitude nous interdisait de passer une nuit à Taquilé et c'est pour cela que nous avons dû rejoindre Puno plus tôt que prévu, afin de recevoir les directives de Nouvelles Frontières, pour savoir où passer pour nous rendre en Bolivie. Il m'aurait plu de passer une nuit sur cette petite île, loin des routes, des voitures et du bruit. Taquilé semble encore préservée du tourisme de masse, mais déjà des lodges pour accueillir les visiteurs semblent se construire. Jusqu'à quand la paix et la tranquilité dureront-elles ? Développement, respect des traditions et de l'environnement sont-ils conciliables ?

Le soir à Puno, alors que nous sortons pour dîner, nous retrouvons les éternels "amis de la godasse", les petits cireurs de chaussures, symboles urbains de l'enfance au travail. Alors qu'une amie a cédé aux suppliques de l'un d'eux "pour un sol" (environ deux francs), je demande à celui-ci à combien il estime le nombre de gamins comme lui à Puno. Le jeune qui a déjà seize ans mais qui en paraît deux de moins -trait caractéristique des enfants sous-nourris- me répond soixante. La concurrence doit être rude car le centre de Puno est relativement réduit, mais ce chiffre me semble finalement bien peu élevé pour une ville de quatre-vingt mille habitants.